juillet 20 2021

Le Conseil d'Etat redéfinit les règles du jeu des « Management Packages »

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La question de la qualification fiscale des gains issus d’opérations réalisées dans le cadre de management packages a été à l’origine de diverses décisions de jurisprudence et avis du comité de l’abus de droit fiscal au cours des dernières années. Il semblait s’en être dégagé un certain nombre de principes et de conditions qui, lorsqu’ils étaient respectés, devaient permettre de dénier à ces gains toute qualification de salaires. Il s’agissait essentiellement (i) de la valorisation des instruments concernés à un prix de marché, (ii) de la réalisation d’un véritable investissement par le manager et (iii) de l’existence de chances de gain contrebalancées par l’existence d’un véritable risque de perte.

Le 13 juillet 2021, trois arrêts rendus par le Conseil d’État sont venus remettre à plat la grille de lecture à suivre afin de déterminer si des gains réalisés dans le cadre de management packages doivent recevoir la qualification de salaires ou de plus-values. Rendues aux termes de conclusions communes, ces décisions portaient pour deux d’entre elles sur des cessions de bons de souscription d’actions et pour la troisième sur une cession d’actions acquises en exécution d’une option d’achat d’actions. Sur ce dernier point, et à titre liminaire, il nous semble difficile d’apprécier dans quelle mesure le raisonnement suivi par les juges peut être transposé à des situations où sont en causes des titres pour lesquels le manager exerce pleinement sa qualité d'actionnaire, à l’inverse de situations où sont en cause des bons ou des options dont la détention n’implique aucune démarche active de la part du contribuable.

L’on comprend de la lecture des arrêts et de leurs conclusions que toute interrogation sur l’existence d’un avantage ou d’un gain constitutif d’une matière taxable et sa qualification doit être opérée à plusieurs stades dans la vie de ces instruments, à savoir (i) lors  de  l’entrée  dans  le  dispositif  de  « management  package » par l’acquisition du bon, (ii) lors de l’exercice de ces bons et (iii) lors de la cession de ces bons, sans les avoir exercés. C’est dans ce cadre temporel qu’il convient d’apprécier la grille de lecture dégagée le 13 juillet 2021 par le Conseil d’État (A) et de mieux comprendre le sens des décisions rendues (B).

A. La grille de lecture dégagée par le Conseil d’État pour établir l’existence d’un avantage salarial

Il apparaît à la lecture des conclusions rendues sous les trois arrêts du 13 juillet 2021 l’existence d’une distinction claire entre l’existence et la qualification d’un gain à l’entrée du dispositif de management package (1) et l’existence et la qualification d’un gain à la sortie de ce dispositif (2).

1. À l’entrée du dispositif : l’existence d’un gain constitutif d’un avantage salarial lors de l’acquisition

Les trois arrêts font apparaître le considérant de principe suivant :

« La  circonstance  que  des  options  d’achat  d’actions  ou  des  bons  de souscription d'actions ont été acquis ou souscrits à un prix préférentiel au regard de leur valeur réelle  à  la  date  de  cette  acquisition  ou  souscription  est  de  nature  à  révéler  l’existence  d’un avantage  à  concurrence  de  la  différence  entre  le  prix  ainsi  acquitté  et  cette  valeur. 

Un  tel avantage,  lorsqu’il  trouve  essentiellement  sa  source  dans  l’exercice  par  l’intéressé  de  ses fonctions  de  dirigeant  ou  salarié,  a  le  caractère  d’un  avantage  accordé  en  sus  du  salaire, imposable au titre de l’année d’acquisition ou de souscription des options ou des bons dans la catégorie  des  traitements  et  salaires  en  application  des  articles  79  et  82  du  code  général  des impôts. Le caractère préférentiel de ce prix est en revanche sans incidence sur la nature des gains réalisés ultérieurement par le contribuable lors de l’exercice de ces options ou bons, lors de la cession des titres ainsi acquis ou lors de la cession des bons. »

S’en dégagent alors deux critères que sont l’existence d’un avantage d’une part et celle d’un lien entre cet avantage et les fonctions de dirigeant ou de salarié du manager concerné.

L’existence d’un avantage…

À ce stade, les conclusions rappellent que l’octroi d’un avantage par la société émettrice résulte de la fixation par cette dernière du prix du bon à un niveau préférentiel au bénéfice du manager par rapport à celui qui aurait été exigé d’un investisseur tiers. Ce niveau préférentiel peut être apprécié par rapport à la valeur du sous-jacent au moment de l’émission, à la date d’échéance du bon et à ses conditions d’exercice.

Ainsi, c’est bien l’existence d’un paiement du bon au « juste prix » qui constitue l’étalon à partir duquel peut être identifiée l’existence d’un avantage à l’entrée. Pour l’identifier, il convient de se placer à la date d’acquisition des bons par le salarié et à rechercher, à partir notamment des méthodes de valorisation classiquement utilisées (Black & Scholes, Montecarlo), quel aurait été le prix auquel un investisseur instruit de ces méthodes aurait été prêt à acquérir les mêmes bons.

… qui trouve « essentiellement sa source dans les fonctions de dirigeant ou salarié de l’intéressé »

L’avantage éventuellement consenti au moment de l’attribution des bons ne pourrait être imposable comme un salaire qu’à la condition que l’administration, après avoir démontré son existence et quantifié cet avantage, parvienne à démontrer que celui-ci trouve sa cause dans la qualité de salarié ou de dirigeant du souscripteur, qu’il est octroyé en contrepartie de son travail.

Pour établir ce lien, les conclusions indiquent qu’il est possible de se fonder sur (i) les stipulations du contrat d’émission, (ii) les circonstances de cette émission ou encore (iii) d’autres accords conclus par exemple entre le dirigeant et les investisseurs. A cet égard, il convient de préciser que le caractère plus ou moins risqué de l’investissement que représente un bon « influe seulement sur le juste prix du bon, mais non sur la nature de l’avantage octroyé à raison d’une acquisition dans des conditions financières préférentielles » puisque précisément, ce risque devrait être pris en compte pour apprécier le « juste prix » du bon et le quantum de l’avantage.

Note : Dans l’hypothèse où l’administration ne parviendrait pas à établir un tel lien avec les fonctions exercées par le manager, l’avantage éventuellement mis en avant serait imposable en tant que revenu distribué sous certaines conditions.

2.À la sortie du dispositif : l’existence d’un gain constitutif d’un avantage salarial lors de l’exercice des bons (ou de la levée des options) ou de leur cession

S’agissant du gain réalisé à la sortie, le Conseil d’Etat pose pour principe que :

« Les  gains  nets,  calculés  en  tenant  compte  de  l’avantage  ayant  été éventuellement imposé en application du point 3 ci-dessus, retirés par une personne physique de la cession à titre onéreux de bons de souscription d'actions sont en principe imposables suivant le régime  des  plus-values  de  cession  de  valeurs  mobilières  des  particuliers  institué  par  l'article 150-0 A  du  code  général  des  impôts,  y  compris  lorsque  ces  bons  ont  été  acquis  ou  souscrits auprès d'une société dont le contribuable était alors dirigeant ou salarié, ou auprès d'une société du même groupe.

Il en va toutefois autrement lorsque, eu égard aux conditions de réalisation du gain de cession, ce gain doit être regardé comme acquis non à raison de la qualité d’investisseur du cédant, mais en contrepartie de ses fonctions de salarié ou de dirigeant et constitue, ainsi, un revenu imposable dans la catégorie des traitements et salaires en application des articles 79 et 82 du  code  général  des  impôt,  réalisé  et  disponible  l’année  de  la  cession  de  ces  bons. »

À titre liminaire, il convient de remarquer que les conclusions prennent le temps de distinguer le gain réalisé lors de l’exercice des bons de souscription ou de la levée des options et le gain éventuellement réalisé lors de la cession des bons. Dans les deux cas, le principe demeure celui d’une imposition dans la catégorie des plus-values sur valeurs mobilières. En revanche, et par exception, dès lors qu’un lien avec les fonctions de salarié ou de dirigeant peut être établi, la qualification de salaire semble pouvoir être retenue.

Gain d’exercice

En règle générale, l’exercice d’un BSA ou la levée d’une option d’achat fait apparaître une différence positive entre la valeur réelle des actions ainsi acquises et le prix versé pour procéder à cette acquisition. Cette différence positive a, par principe, la nature d’une plus-value de cession de valeur mobilière. Par exception toutefois, elle doit recevoir la nature d’un gain salarial dès lors qu’elle « trouve essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de ses fonctions de dirigeant ou de salarié ».

À cet égard, les conclusions apportent trois précisions :

  • D’abord, la circonstance que le prix d’exercice déterminé dans le contrat d’option ou la convention d’émission ne résulte que de l’exécution d’un  engagement pris à l’égard du détenteur de l’option ou du bon par la société émettrice est sans incidence sur le constat de l’existence d’un tel gain.
  • Ensuite, la circonstance qu’un avantage à l’entrée ait existé ou qu’il apparaissait incertain que l’option puisse un jour être exercée et  dégagerait  un  gain  au moment de l’émission n’ôtent rien au constat que l’exercice de l’option a finalement fait apparaître un gain. Il convient  simplement, de tenir compte de l’imposition ou de l’absence d’imposition (par exemple si l’administration fiscale ne l’a pas redressé à temps) de cet avantage  consenti à  l’entrée pour déterminer le prix de revient de l’action acquise ou souscrite et éviter toute double imposition.
  • Enfin, ce gain de levée d’option ou d’exercice du bon doit être imposé dès la levée ou l’exercice de l’option et l’entrée du sous-jacent dans le patrimoine du manager, même en l’absence de cession.

Quels sont alors les critères permettant d’établir par exception qu’un gain présenterait un lien avec l’exercice de fonctions de salarié ou de dirigeant ? Les conclusions précisent que ces derniers peuvent être multiples et doivent être appréciés au cas par cas. Elles indiquent toutefois que le « rattachement du gain au contrat de travail peut par exemple être révélée […] par des circonstances tirées de ce que l’octroi du bon ou de  l’option  était  lié  aux  fonctions  de  l’intéressé,  que  l’exercice  du  bon  ou  de  l’option  est subordonné au maintien pendant une certaine durée de l’intéressé dans l’entreprise, voire à sa présence dans l’entreprise à la date de levée de l’option, ou encore par l’existence d’un lien entre les conditions dans lesquelles l’option est levée (prix d’exercice, quotité) et l’atteinte de certains objectifs de rentabilité ou de résultat ».

En substance, l’on comprend que la nature salariale du gain ne dépend pas de la circonstance que sa réalisation était aléatoire ou qu’un juste prix a été payé à l’entrée du dispositif mais de sa conditionnalité à l’existence et au maintien du contrat de travail.

Gain de cession

Une analyse similaire semble pouvoir être appliquée au gain réalisé lors de la cession des bons. Les conclusions prennent en effet le temps de préciser qu’il conviendra d’imposer ces gains dans la catégorie des salaires à chaque fois qu’un lien pourra être établi entre leur réalisation et l’exercice par leur bénéficiaire de fonctions de salarié ou de dirigeant. En pratique, ce type de situations se rencontre dans certains LBO dans lesquels les investisseurs cherchent à motiver les dirigeants du groupe acheté en leur concédant une part de la plus-value qu’ils réaliseraient à la sortie. La rapporteure publique prend ainsi le temps de mentionner des indices susceptibles d’établir le lien entre le gain de cession et le contrat de travail, comme le fait que les titres en cause soient « incessibles jusqu’au dénouement du LBO », « sans marge de manœuvre du dirigeant », qu’il existe une « faculté de céder et d’exercer les bons subordonnée à la survenue d’un évènement consistant en une mutation portant sur l’intégralité des titres composant le capital de la société », qu’ils constituent un « ticket d’entrée dans un pur système de bonus dans lequel jusqu’au bout, cession incluse, l’employeur et les principaux actionnaires sont aux manettes », ou que « la seule issue possible pour le dirigeant, hors accident de la vie, soit ce partage de plus-value sans dénouement possible avant la revente de la société ».

Pour le dire plus trivialement, le gain de cession pourrait être requalifié en salaire à chaque fois que les actionnaires et les salariés ne se donneraient rendez-vous qu’à la sortie pour partager ensemble le gâteau final.

B. Lecture des arrêts du 13 juillet 2021 à la lumière de cette grille d’analyse

Dans la première affaire, l’administration avait imposé en salaire le gain réalisé par un manager lors de la cession d’actions acquises quelques jours auparavant par la levée d’une option lui ayant été consentie. La Cour administrative d’appel avait considéré que le gain n’avait pas une nature salariale au motif que le manager n’était pas prémuni contre le risque d’une perte totale de son investissement (i.e., 15 000 euros versés en tant qu’indemnité d’immobilisation) et ajouté que le lien entre cette option d’achat et le contrat de travail du manager était sans incidence sur le raisonnement.

À l’inverse, le Conseil d’État juge que l’existence d’un risque de perte est sans incidence sur la caractérisation du gain de levée d’option, et que seul importe de déterminer si le gain « trouve essentiellement sa source dans l’exercice par l’intéressé de fonctions de dirigeant ou de salarié ». L’arrêt de Cour administrative d’appel a donc été cassé et l’affaire renvoyée devant cette dernière.

Dans la deuxième affaire, un manager avait acquis des BSA d’une société dont il était dirigeant. L’année suivante il avait conclu avec son actionnaire principal une convention d’échanges d’options permettant de « tunelliser » le prix de cession des bons détenus. En application de cette convention, l’ensemble de ces bons a été cédé et le contribuable a dégagé un gain. L’administration comme les juges du fond avaient vu dans (i) la convention permettant au manager de ne plus être exposé à un risque de perte de son investissement initial et (ii) le lien entre l’émission des bons et l’arrivée du manager à la direction de l’émettrice les signes caractérisant un avantage salarial.

Ici encore, le Conseil d’État juge que la suppression de l’aléa entourant le prix de cession était sans incidence sur la nature salariale du gain, seule comptant la circonstance que la convention d’échange d’option aurait été conclue à des conditions avantageuses trouvant leur source dans les fonctions de dirigeant du manager.

Dans la troisième affaire, était en cause une cession de bons émis, dans le cadre d’une opération de LBO, à l’attention du dirigeant afin d’organiser le partage avec ce dernier, de la plus-value réalisée par les investisseurs-actionnaires afin d’encourager  ce dirigeant à être performant dans ses fonctions. Il ressortait en effet du contrat d’émission des bons et du pacte d’actionnaires en vigueur que le gain d’exercice des bons comme le gain de cession de ces bons ne pouvaient intervenir que lors de la mutation de l’intégralité des titres de capital de l’entreprise et à la condition de l’existence d’un TRI minimum et de la réalisation d’un multiple supérieur à 2 par les autres investisseurs lors de la revente de leurs titres.

Le Conseil d’État juge que le contexte de l’émission des bons comme celui de réalisation du gain de cession démontrent suffisamment le lien entre sa réalisation et l’exercice de ses fonctions par le manager. On relèvera utilement ici que les conclusions précisent que la cour administrative d’appel s’était également fondée sur la faiblesse  de  l’investissement  initial  le fait qu’un TRI d’au moins 18% pouvait raisonnablement être anticipée alors que l’existence d’un aléa « est par lui-même sans incidence sur la qualification du gain de cession des titres ».

À n’en pas douter, cette nouvelle jurisprudence du Conseil d’État rebat les cartes de l’analyse du traitement fiscal des Management Package. À l’évidence, comme le reconnaissent d’ailleurs les conclusions, le seul constat que le cédant était salarié / dirigeant du groupe dont il cède les titres ne saurait à lui seul suffire pour justifier l’application du régime salaire et non plus-value. On notera que les trois arrêts ont pour point commun :

  1. de porter non pas sur des actions mais sur des BSA / options d’achat, à savoir des instruments dont la détention ne donne aucun droit jusqu’à leur exercice (l’analyse de la rapporteure publique aurait-elle été la même en présence d’un instrument action conférant à son porteur la qualité d’actionnaire et l’exercice pendant la durée de détention des droits attachés à cette qualité ?) ;
  2. l’incessibilité des titres / droits jusqu’à la sortie du LBO (cumulé à l’absence de qualité d’actionnaire, cette caractéristique conduit à s’interroger sur l’existence d’un actif réel acquis par le salarié / dirigeant et donc l’existence de droits de propriété exercé par le salarié jusqu’à la sortie);

Plus fondamentalement, dans beaucoup de cas, les managers d’un LBO ne sont pas seulement porteur d’un instrument dit « ratchet »  mais investissent significativement aux côtés du fonds. L’instrument ratchet n’est qu’une composante du « package » négocié par un management qui joue par ailleurs pleinement son rôle d’investisseur. Cette réelle qualité d’investisseur mériterait d’être prise en compte dans l’analyse et notamment lorsque les managers se regroupent collectivement dans une société commune.

Enfin, on regrettera que la rapporteure publique ne précise pas, comme l’a fait la Cour de Cassation en matière sociale, la date à laquelle s’apprécie le quantum du gain pouvant être requalifié en salaires. Ainsi, dans les cas où il serait démontré que l’octroi et la conservation de l’instrument « ratchet » seraient conditionnés au contrat de travail mais où le manager ne serait pas tenu par une clause d’incessibilité (mais ne serait soumis qu’à une clause d’agrément usuelle dans les groupes dont le capital n’est pas ouvert au public), il nous semble que la question de la qualification en salaires ne se poserait qu’à l’entrée du manager au capital (la question serait alors limitée à l’appréciation de l’existence de la juste valeur payée pour l’acquisition de l’instrument et donc la taxation en salaires du seul écart éventuel constaté à cette date et non pas à celle de la sortie).

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