décembre 15 2025

Bénéficiaire effectif et non-application d’un taux réduit de retenue à la source en présence de dividendes versés à une société luxembourgeoise et reversés à son actionnaire américain

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Le Tribunal administratif de Paris valide la remise en cause par l’administration fiscale du taux réduit de retenue à la source de 5 % prévu par la convention franco-luxembourgeoise en présence de dividendes versés à une société luxembourgeoise et reversés à son actionnaire américain, au motif que la société luxembourgeoise n’était pas le bénéficiaire effectif des dividendes (TA Paris, 19 novembre 2025, n° 2400552 et 2400553).

Faits et procédure

Les sociétés de placement à prépondérance immobilière à capital variable (« SPPICAV ») CBV et CFI, membres du groupe C Capital, ont procédé à des distributions de dividendes au profit de leurs actionnaires uniques respectifs, la société luxembourgeoise CBV S.à r.l. et la société luxembourgeoise CFI S.à r.l., au titre des exercices 2017, 2018 et 2019. Ces distributions ont été réalisées par l’intermédiaire d’un établissement payeur, qui a prélevé la retenue à la source prévue à l’article 119 bis, 2 du Code général des impôts (« CGI ») en lui appliquant le taux réduit de 5 % prévu par l’article 8 de la Convention franco-luxembourgeoise de 1958.

L’administration a remis en cause l’application du taux réduit de 5 % au motif que CBV S.à r.l. et CFI S.à r.l. n’étaient pas les bénéficiaires effectifs des dividendes et a assorti les rappels de retenue à la source de la majoration de 40 % pour manquement délibéré.

Arrêt du Tribunal administratif

Le Tribunal rappelle tout d’abord qu’il incombe au juge de l’impôt, lorsqu’il est saisi d’une contestation relative à une convention fiscale, de se placer d’abord au regard de la loi fiscale nationale pour rechercher si l’imposition contestée a été valablement établie, et de rechercher, le cas échéant, si la convention fait ou non obstacle à l’application de la loi fiscale française.

Sur l’application de la loi fiscale française

Le Tribunal estime que l’administration fiscale n’a pas dénié aux sociétés CBV S.à r.l. et CFI S.à r.l. la qualité de bénéficiaires des dividendes au sens de l’article 119 bis, 2 du CGI. L’administration n’a donc pas recouru implicitement à la procédure d’abus de droit sans offrir aux contribuables les garanties prévues par l’article L. 64 du livre des procédures fiscales (« LPF »).

Sur l’application du taux réduit de retenue à la source prévu par l’article 8 de la Convention franco-luxembourgeoise

Le Tribunal rappelle que ni les stipulations de l’article 8 de la Convention, qui sont antérieures à l’introduction d’une clause de bénéficiaire effectif dans l’article 10 du modèle OCDE de 1977, ni aucun des éléments relatifs au contexte ou au but dans lequel la Convention a été établie ne s’opposent à ce que le bénéfice du taux réduit de retenue à la source ne puisse être subordonné à une condition de bénéficiaire effectif des dividendes.

En l’espèce, il relève que les sociétés CBV S.à r.l. et CFI S.à r.l. ont émis au bénéfice de leur associé unique respectif, les sociétés américaines CBV Holding LLC et CFI Holding LLC, des instruments de dette dits tracking preferred equity certificates (« TPECs »), en contrepartie desquels les sociétés CBV S.à r.l. et CFI S.à r.l. devaient reverser un intérêt fixe de 0,5 % ainsi qu’une rémunération variable de 99 % à 100 % des revenus nets perçus par celles-ci. Le Tribunal note que l’administration a estimé, compte tenu de ces obligations contractuelles de reversement, que les sociétés CBV S.à r.l. et CFI S.à r.l. ne pouvaient librement disposer des dividendes distribués ni en déterminer librement l’affectation, alors que les sociétés requérantes n’apportent aucun élément de nature à attester de la libre disposition des dividendes reçus.

Le Tribunal conclut que l’administration n’a pas fait une inexacte application de l’article 8 de la Convention.

Sur le redevable de la retenue à la source

Le Tribunal indique tout d’abord que le redevable de la retenue à la source est en principe l’établissement qui assure le paiement des dividendes. Le Tribunal relève toutefois que, même si l’établissement payeur est soumis à une obligation de vérification de l’identité et du domicile de ses clients, il ne pouvait avoir connaissance des obligations contractuelles de reversement des revenus résultant des TPECs. Il note également que l’établissement payeur n’avait pas ou n’aurait pu avoir connaissance de l’identité réelle des bénéficiaires effectifs des dividendes.

Le Tribunal relève ensuite que les sociétés sont membres du groupe C Capital, de telle sorte que les sociétés CBV et CFI ne pouvaient ignorer que les dividendes versés étaient ensuite reversés et que les sociétés CBV S.à r.l. et CFI S.à r.l. ne pouvaient être regardées comme les bénéficiaires effectifs des dividendes. Le Tribunal estime ainsi que les sociétés CBV et CFI peuvent être regardées comme les redevables des rappels de retenue à la source.

Sur l’application d’un autre taux réduit de retenue à la source

En ce qui concerne la société CBV, le Tribunal relève que la circonstance que la société CBV Holding LLC a reversé les dividendes n’implique pas qu’elle soit elle-même tenue par une obligation de nature notamment contractuelle de reversement des dividendes. Ainsi, la connaissance par l’administration fiscale de la chaine de participation ne saurait suffire à déterminer le bénéficiaire réel des revenus perçus. Il note également que la société CBV n’a apporté aucun élément de nature à justifier l’application d’une autre convention fiscale ou d’une disposition du CGI comportant une exonération ou un taux réduit de retenue à la source.

En ce qui concerne la société CFI, le Tribunal relève que l’administration reconnait avoir identifié comme bénéficiaire effectif des dividendes la société CFI Holding LLC. Il estime cependant qu’il ne résulte pas de l’instruction que cette société était susceptible de se voir appliquer un taux de retenue à la source plus favorable.

Sur les pénalités

Le Tribunal estime que compte tenu des éléments recueillis relatifs au contrôle des sociétés, toutes deux affiliées au groupe C Capital, l’administration apporte la preuve de la connaissance qu’avaient les sociétés CBV et CFI que leurs associés uniques respectifs n’étaient pas les bénéficiaires effectifs des dividendes. Le Tribunal juge que l’administration a ainsi démontré l’intention délibérée des sociétés CBV et CFI d’éluder l’impôt.

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