1. Rappels des principes applicables
Par trois décisions en date du 13 juillet 2021, le Conseil d'Etat a confirmé la possibilité de requalifier en salaires les gains réalisés à l’occasion de la cession d’instruments financiers acquis dans le cadre d’un Management Package lorsque ces gains résultent « essentiellement de la qualité de salarié ou de dirigeant » (CE, 13/07/2021, n° 435452, 428506 et 437498).
Dans une décision en date du 28 janvier 2022, le Conseil d’Etat a admis la possibilité pour l’administration fiscale de requalifier de tels gains lorsqu’ils ont été réalisés par l’intermédiaire d’une société holding dépourvue de substance dans le cadre de la procédure de l’abus de droit (CE, 28/01/2022, n° 433965).
2. Faits et procédure
A l’occasion d’une opération de Leverage Buy-out (LBO), l’un des dirigeants du groupe cible (i.e., le contribuable redressé en l’espèce) est entré au capital de la société tête de groupe par le biais d’une société holding rassemblant d’autres managers (ManCo) et ayant souscrit des actions de préférence de la société tête de groupe. Peu de temps avant le débouclage de l’opération de LBO, le dirigeant a créé une holding personnelle à laquelle il a apporté la totalité de ses titres ManCo avant leur cession par sa holding personnelle.
L’administration fiscale a estimé qu’en tant que manager intéressé à l’opération de LBO, le manager avait bénéficié d’une partie du gain de cession du groupe cible dans le cadre d’un mécanisme d’intéressement des cadres dirigeants. Dès lors, l’administration a considéré qu’une partie des gains réalisés par la holding personnelle constituait des revenus imposables au niveau du contribuable en tant que salaires ; ceci, sans faire application de la procédure de l’abus de droit fiscal.
Le tribunal administratif de Paris a prononcé la décharge des sommes mises à la charge du contribuable en considérant que les gains de cession réalisés par la holding personnelle ne pouvaient être requalifiés en salaires imposables entre les mains de l’associé personne physique, (i) la holding personnelle ne pouvant par nature être salariée et (ii) l’administration n’ayant pas entendu écarter l’interposition de la holding personnelle sur le fondement de l’abus de droit.
L’administration interjette appel de ce jugement et demande notamment une substitution de motifs afin de requalifier en salaires non pas les gains réalisés par la holding personnelle mais les gains d’apport réalisés par le contribuable au moment de l’apport de ses titres à la holding personnelle ; gains qui ont bénéficié d’un sursis d’imposition au niveau personnel du dirigeant.
3. Décision rendue sur appel de l’administration fiscale
La Cour administrative d’appel de Paris rejette la requête en appel de l’administration.
Concernant la demande de substitution de motifs, la Cour retient également que «la plus-value résultant d'un tel échange de titres [(i.e., celle constatée du fait de l’apport)] ne peut être qualifiée de traitements et salaires dès lors que l'administration n'a pas entendu remettre en cause, sur le fondement de l'abus de droit, l'interposition de la holding personnelle, ce qui fait obstacle à ce qu'un tel apport puisse, comme le soutient le ministre, être regardé comme un acte de disposition par lequel le dirigeant aurait renoncé à exercer son droit de vente et l'aurait cédé à sa holding personnelle, alors surtout qu'à la date de l'apport des titres de la ManCo, ces derniers n'ont produit aucun gain pour l'intéressé et que le gain issu de leur cession postérieurement à leur apport a été encaissé par la holding personnelle qui en a disposé dans les conditions rappelées au point précédent. »
4. Portée
Il ressort de cette solution que, comme pour les gains de cession réalisés par une holding personnelle, les gains d’apport de titres de Management Packages ne pourraient être requalifiés en salaires qu’en cas de mise en œuvre par l’administration de la procédure de l’abus de droit.
Cette solution restreint l'action de l'administration qui ne pourrait pas utiliser son pouvoir général de requalification pour imposer ces gains en salaires et serait soumise à la démonstration d’un abus de droit par le contribuable. Ceci impliquerait donc la démonstration que l’apport des titres (i) était fictif ou répondait à un but exclusivement fiscal au sens de l’article L. 64 du Livre des procédures fiscale (entraînant l’application de pénalités au taux de 80%) ou (ii) répondait à un but principalement fiscal au sens du nouvel article L. 64 A du même Livre.
Cette solution favorable méritera toutefois d’être confirmée par le Conseil d'Etat.