Sanction par l’Autorité française d’une acquisition d’un contrôle de fait sans notification ni autorisation préalables
Le 12 avril 2022, l’Autorité de la concurrence a imposé à la Compagnie Financière Européenne de Prises de Participation (« Cofepp ») une amende de 7 millions d’euros pour avoir acquis un contrôle de fait sur Marie Brizard Wine & Spirits (« MBWS »), sans avoir préalablement notifié l’opération, ni attendu l’autorisation de l’Autorité.
Le 3 janvier 2019, la Cofepp avait notifié à l’Autorité de la concurrence son intention d’acquérir le contrôle exclusif de MBWS. Cette opération a été autorisée le 28 février 2019, sous réserve de la mise en œuvre d’engagements de cession de marques.
En avril 2019, estimant détenir suffisamment d’indices suggérant l’existence d’une situation de contrôle antérieure à la notification de l’opération, l’Autorité a procédé à des opérations de visite et saisie au sein des locaux de la Cofepp.
Dans sa décision du 12 avril 2022, l’Autorité conclut au terme de son examen non seulement à une violation de l’obligation de notification préalable d’une opération de concentration, mais également à une violation de l’obligation faite à l’acquéreur d’attendre l’autorisation de l’Autorité avant de mettre en œuvre l’opération. C’est la première fois que l’Autorité sanctionne à la fois ces deux infractions distinctes dans une même décision.
Cette décision est également notable en ce qu’elle constitue un rare cas d’application de ces dispositions à une acquisition de contrôle de fait.
En effet, au moment du dépôt de la notification et depuis septembre 2017, la Cofepp détenait déjà 29% du capital et des droits de vote de MBWS, une participation qu’elle avait acquise progressivement au cours des années précédentes. L’Autorité a constaté que cette circonstance était de nature, compte tenu de la dilution du reste de l’actionnariat, à donner à la Cofepp la quasi-certitude de faire approuver les décisions stratégiques qu’elle soutenait.
Mais surtout, l’Autorité a considéré que plusieurs pratiques montraient que la Coffep avait dans les faits exercé une influence déterminante, et donc un contrôle, sur MBWS avant la notification, et a fortiori, l’autorisation de l’opération :
- L’Autorité a tout d’abord relevé que la Cofepp disposait de la possibilité de désigner plusieurs membres du Conseil d’administration (3 sur 11 entre 2017 et 2019) et que, par ce biais, elle avait pu avoir accès à des informations sensibles (notamment budgets prévisionnels, volumes de vente ou encore perspectives commerciales relativement détaillés), en méconnaissance des différents mécanismes qui avaient été prévus pour prévenir de tels échanges (obligation de quitter les réunions en cas d’échanges portant sur des informations sensibles, dispositions d’un accord de « clean team »),
- L’Autorité a également constaté l’existence de relations commerciales et financières étroites entre la Cofepp et MBWS, la Cofepp étant devenue l’un des principaux fournisseurs de MBWS et lui ayant également accordé un soutien financier significatif.
- Elle a enfin considéré que la Cofepp était intervenue à plusieurs reprises dans les décisions stratégiques et opérationnelles de MBWS (notamment nomination du nouveau directeur général, négociation avec les fournisseurs de MBWS, établissement de la politique commerciale et budgétaire, etc.).
La Cofepp a renoncé à contester les infractions et transigé avec l’Autorité, qui lui a infligé une amende de 7 millions d’euros.
Cette amende tient compte du fait qu’il s’agit « par nature [d’une] infraction grave à l’ordre public économique (…) et ce, quels que puissent être les effets possibles de l’opération projetée sur la concurrence ». Pour autant, l’Autorité a également tenu compte de la connaissance qu’avait selon elle la Cofepp des risques concurrentiels que présentait l’opération. Elle a en outre identifié une circonstance aggravante dans le fait que « la réalisation de l’opération sans notification et sans autorisation [avait] découlé d’une accumulation de comportements traduisant une volonté délibérée de procéder à la réalisation effective de l’opération et d’un mépris des règles de concurrence ».
Les prises de participation « minoritaires » (non contrôlantes) ne sont pas notifiables dans la plupart des régimes de contrôle des concentrations, mais des participations significatives entre acteurs d’une même industrie engendrent un risque de prise de contrôle de fait au fil du temps. Au-delà des spécificités du cas d’espèce, cette décision rappelle qu’il convient de suivre étroitement l’évolution des relations entre l’actionnaire et la société en question afin d’être en mesure de déclencher une notification préalable dès que ces liens se développent et créent un risque de prise de contrôle de fait.